LES INONDATIONS


Pierre Lachat

Le 25 novembre 1944, il y avait un mètre d'eau dans le couloir. Je me suis marié en bateau! Les bans étant publiés, nous étions obligés de nous marier ce jour là.

Tous les matins on se levait à quatre heures pour emmener en bateau les gars de chez Prénat pour travailler... L'usine Prénat était pas inondée elle...

C'était bien les inondations. Maintenant, dès qu'il y a un peu d'eau tout le monde pleure.


Francis Palendre

Quand on construisait le pont de Vernaison, la grande crue de 1957 a emporté toutes les digues...


Paul Vallon

A l'origine, tout au long du 19 ème siècle, les sociétés de sauvetage se sont créées pour venir au secours des populations en période d'inonda­tions.

A l'époque, les inondations étaient très fréquentes. Certains quartiers de nos villes, le Vieux Givors par exemple, étaient pourris par les inonda­tions. Les quartiers étaient beaucoup plus bas que maintenant et tous les rez de chaussée étaient inondables, certains jusqu'au plafond... Les gens, dans les bas quartiers possédaient tous des pièces de repli à l'étage supé­rieur. En période de crue on mettait tout le matériel du lieu d'habitation habituel du rez de chaussée sur des tréteaux et les gens montaient vivre au premier étage. Il fallait les ravitailler... Transporter les personnes au tra­vail, les médecins, les sage-femmes... Les sociétés de sauvetage ont joué un grand rôle dans ce domaine. Elles étaient d'utilité publique. Elles le sont toujours encore un peu car les inondations, si elles se font plus rares, arrivent encore de temps en temps.


Antoine Reale

Les inondations étaient terribles, bien sûr. Mais en étant gamins, c'était presqu'une fête... On sentait que les liens d'amitié se resserraient. Les gens avaient besoin les uns des autres. C'était une joie de se rendre service. Une joie intérieure.

En 1954, j'étais revenu d'Italie et avec René et le père Molina on avait acheté une barque de course. Au mois de février 1955, j'avais été mobili­sé par la ville de Givors avec ma barque. Pendant toute la période des inondations il y avait une fraternité entre les gens. Le père P. avait un café au coin, c'était le quartier général des sauveteurs. Il y avait un tour de garde: "A telle heure il faut aller chercher untel etc..." Il y a même une photo où on faisait la distribution d'eau... (Cette photo est reproduite en fin de ce livre)

Lorsqu'on a vu venir la fin des inondations, les gens étaient tellement

contents de voir l'eau partir, le dernier jour, avec Michel Drevet et deux trois gars de "la barquette" <orchestre populaire des jouteurs> on a fait le tour des lieux d'inondation en barque et on chantait les chansons du vieux Givors.

En 1957, ils avaient fait venir l'armée (le génie). Il y avait tellement de courant dans la rue que les sauveteurs avaient dit aux bidasses qu'ils risquaient de chavirer avec leur bateau à fond plat. Le gradé a pas voulu les écouter. Ils ont donc chaviré et il a fallu aller les chercher. Ils venaient pour nous aider mais ils n'avaient pas l'expérience.

L'inondation faisait sortir de ces rats! On les tuait à la rame.

A l'entreprise, lorsque le Rhône était en crue, on pouvait pas travailler, mais il fallait assurer une garde. La grue était presqu'au milieu du fleuve. Deux à trois fois par jour, on partait avec une barque. C'était très dange­reux car le Rhône charriait toute sorte d'objets, troncs d'arbre par exemple. Il fallait remonter le courant et venir s'amarrer le long de la grue, jeter la corde. Un coup, j'y vai avec Julot et je manque mon coup de la corde (c'était une chaîne cette fois). La chaîne tombe à l'eau. Le bateau de la grue était amarré avec deux cables qui se croisaient et la chaîne se coinça entre les deux. On est restés pendant plus de deux heures à ne pas savoir quoi faire. Heureusement que Julot était un marinier costaud: il ramait, ramait, car la barque poussée par le courant piquait du nez; il fal­lait l'empêcher de couler en contrariant cette tendance en ramant! Ray­mond va chercher une scie à métaux et avec sa barque il passe sans pou­voir s'arrêter à cause du fort courant et me lance la scie. Je commence à scier la chaîne et Julot commençait à être fatigué de ramer... A ce moment passe un "Citerna" qui descend. Je sciai encore plus vite. Alors on a eu deux chances. La première, c'était que Julot était un marinier hors pair et la seconde c'est que la vague du "Citerna", au lieu de nous faire chavirer a fini de casser le maillon de la chaîne que je finissais de scier... Ouf! ce jour là Julot m'a incendié. Et il avait raison parce que j'avais loupé l'amarrage.

Ce Julot, une force de la nature et le coeur sur la main...

Une forte solidarité entre les travailleurs du fleuve: lorsque j'ai été expulsé de France, ils ont exigé d'assurer ma paie tant que le chantier n'était pas fini.